Il y a les marques qui évitent soigneusement la controverse… et celles qui ne veulent pas faire consensus et la cherchent. De Nike avec Colin Kaepernick à Elon Musk qui transforme feu-Twitter en ring de boxe géant, certaines marques ont fait du drama un fer de lance impactant pour leur communication.
Voici un petit décryptage d’une façon de communiquer qui révèle nos rapports complexes à la polémique.
Nike contre Trump
Prenons Nike et sa campagne avec Colin Kaepernick en 2018. Le sportif, controversé aux Etats-Unis pour ses protestations contre les violences policières, devient le visage de « Just Do It ». Des clients détruisent leurs chaussures Nike dans des vidéos enflammées, l’action chute de 3%… puis remonte de 5% quelques semaines plus tard. La campagne remporte même un Emmy pour « meilleure publicité ». Le message est clair : On est contre Trump, on s’en moque même, et la polarisation peut payer.
Quand la controverse devient un business model
Allez on ne le présente plus : Elon Musk a poussé cette logique encore plus loin en érigeant la controverse en art de vivre corporate. En transformant Twitter en « X », il a permis à chacun de ses tweets polémiques de faire les gros titres, et chaque déclaration fracassante génère des millions d’impressions. Ses comportements font parfois chuter les ventes de Tesla et inquiètent certains actionnaires, mais paradoxalement, sa notoriété n’a jamais été aussi forte. Musk a compris une règle fondamentale du marketing moderne : mieux vaut être détesté qu’ignoré. Sa personnalité clivante est devenue le principal actif marketing de toutes ses entreprises.
Cette stratégie du drama volontaire ne se limite pas aux personnalités. Carambar décide un jour de supprimer ses blagues sur ses emballages et le dit tout haut sur Facebook, avant d’annoncer finalement qu’elles restent. Intermarché multiplie les campagnes volontairement provocatrices. L’objectif ? Faire parler, quitte à choquer.
Pourquoi on est fan des marques drama queens
Cette fascination pour les marques controversées répond à plusieurs besoins psychologiques profonds. D’abord, les marques qui s’exposent au risque nous semblent plus « humaines ». En prenant position, elles sortent du marketing aseptisé pour entrer dans le registre de l’émotion brute. On ne les consomme plus, on les « suit » comme on suivrait un reality show.
Dans une société fragmentée, nous cherchons aussi des marques qui « osent ». Nike qui soutient Kaepernick coûte que coûte, c’est une cohérence narrative qui crée un lien plus fort qu’importe quel slogan publicitaire. Soyons honnêtes : nous adorons le spectacle. Les polémiques de marques génèrent engagement, partages, débats passionnés. Elles transforment la consommation en participation à un théâtre social permanent.
Le drama révèle une « personnalité » derrière la façade corporate. Soutenir ou boycotter une marque controversée devient un acte d’appartenance tribale. On ne consomme plus un produit, on rejoint un camp.
Les risques de jouer avec le feu
Attention toutefois : cette approche comporte évidemment des dangers énormes. Une fois lancées dans cette spirale, les marques doivent constamment escalader pour maintenir l’attention. Nike a gagné de nouveaux clients fanatiques mais en a perdu d’autres définitivement. Cette stratégie crée des communautés ultra-loyales mais réduit mécaniquement le marché potentiel.
Et quand la controverse dérape vraiment, comme avec Balenciaga accusée de sexualiser des enfants dans sa campagne, les dégâts peuvent être considérables. La ligne entre controverse maîtrisée et catastrophe marketing reste extrêmement fine.
Le paradoxe de notre époque
Nous sommes en 2025, et pour se faire entendre il faut savoir crier, et seuls ceux qui crient le plus fort sont entendus. Les consommateurs des générations Z et Alpha, élevés aux réseaux sociaux, préfèrent l’engagement authentique à la bienveillance de surface. Ils veulent des marques « vraies », même imparfaites, plutôt que des marques parfaites mais artificielles.
Nous vivons un paradoxe fascinant. Nous réclamons plus d’éthique aux marques tout en étant irrémédiablement attirés par celles qui aiment mettre le bazar. Nous voulons des entreprises responsables, mais nous suivons celles qui prennent des risques. Cette contradiction révèle peut-être notre vraie nature : nous ne voulons pas que les marques soient parfaites. Nous voulons qu’elles soient vivantes.
La controverse devient alors un test de sincérité ultime : êtes-vous prêts à perdre des clients pour vos convictions ? Plutôt que les gens soient indifférents à votre marque, faire polémique est peut-être devenu la nouvelle forme de résurrection marketing.
La question n’est plus de savoir si les marques vont prendre des risques, mais lesquelles auront le courage de révéler leur vraie personnalité, même au prix de nous diviser.