Que ça soit dans la rue, à la télé ou sur internet, les marques publient à la chaîne : Reels, TikToks, affiches, etc pour maintenir une « présence constante ». Mais certaines font le choix radical inverse : se taire.
Elles ne commentent pas. Elles ne réagissent pas. Elles disparaissent parfois même volontairement des réseaux sociaux. Et pourtant, elles occupent une place forte dans l’imaginaire collectif. Car oui, l’absence est aussi une forme de présence, et dans certains cas, une stratégie de communication redoutablement efficace.
On vous propose un petit décryptage des mécanismes derrière cette stratégie contre-intuitive !
Quand tout est saturé, le silence devient un luxe
Le marketing moderne repose en grande partie sur l’économie de l’attention. Chaque marque est en concurrence pour quelques secondes d’attention, sur un feed déjà encombré par des milliers d’autres messages. Cette course effrénée à la visibilité crée une pollution cognitive : à force d’en faire trop, tout finit par se ressembler.
Choisir de ne pas parler devient alors un acte fort. C’est même un acte de résistance : ne pas participer au bruit ambiant, c’est créer une rupture de ton, un espace vide qui capte l’attention autrement.
Le silence devient une forme de rareté, et la rareté attire. C’est l’un des principes fondamentaux de la psychologie de la persuasion : ce qui est difficile à obtenir a plus de valeur. Appliqué à la communication, cela signifie que l’absence crée la tension, et que cette tension peut générer du désir.
Communiquer par l’absence, c’est encore communiquer
Il ne faut pas se tromper : ces marques ne refusent pas la communication. Elles en maîtrisent simplement les codes différemment. L’absence n’est pas un vide, c’est un langage implicite. Elles laissent la place à l’interprétation, à la spéculation, voire à l’appropriation.
Cette stratégie repose sur plusieurs leviers psychologiques :
- Le mystère : ce que l’on ne comprend pas nous attire
- La projection : le consommateur remplit le vide avec sa propre imagination
- L’attente : le silence crée l’anticipation, qui décuple l’impact de chaque prise de parole
- La rareté : si la marque ne parle que rarement, chaque message devient un événement
Exemples de marques qui excellent dans l’art de l’absence
Supreme : le culte du drop
Supreme n’a jamais eu besoin de storytelling classique. Chaque semaine, une nouvelle collection est mise en vente, sans teasing, sans grandes explications. La marque ne commente rien, ne justifie rien, ne contextualise rien. Les files d’attente parlent pour elle. Les fans eux-mêmes assurent la promotion, les revendeurs amplifient la rareté, et la hype est auto-entretenue.
L’absence de narration devient une narration. Supreme n’a pas besoin de dire ce qu’elle est : c’est le public qui lui donne sa valeur symbolique.
Bottega Veneta : la disparition volontaire
En janvier 2021, la maison italienne efface tous ses comptes sur Instagram, Facebook et Twitter. Une hérésie pour une marque de luxe, dont l’univers repose souvent sur une communication très visuelle et sociale ? Pas pour Bottega Veneta.
La marque fait le pari d’un luxe plus discret, réservé à ceux qui savent, une logique proche de la connivence. Elle crée des magazines physiques envoyés à une sélection restreinte de personnes. Son silence numérique devient un statement esthétique : « si tu dois chercher notre validation sur Instagram, tu n’es pas notre cible ».
Tesla et Elon Musk : l’antithèse paradoxale
À l’inverse des exemples précédents, Tesla ne dépense pas un centime en publicité traditionnelle. Pourtant, la marque est omniprésente. Ici, ce n’est pas tant un silence absolu qu’une absence institutionnelle : la parole est monopolisée par Elon Musk lui-même, à travers ses tweets, ses déclarations provocatrices (pour le meilleur, et surtout pour le pire…).
La marque Tesla, en tant qu’entité, n’existe presque pas en tant qu’émetteur officiel. Elle vit à travers son CEO, la presse, les fans et les détracteurs. Une autre forme d’absence : l’absence de communication contrôlée.
Le cas PNL : le mutisme comme univers narratif
S’il existe un cas d’école dans la culture populaire française, c’est bien PNL. Le duo de rappeurs, composé d’Ademo et N.O.S, a toujours refusé le jeu médiatique classique. Aucune interview, aucune apparition télé, aucune participation aux talk-shows. Ils ne parlent pas à la presse. Ils n’interagissent pas sur les réseaux. Même lors de leur passage à Coachella en 2017, leur communication fut minimale.
Et pourtant, PNL remplit Bercy, cumule des centaines de millions de vues sur YouTube, et leurs fans décortiquent chaque image, chaque référence. Comment est-ce possible ?
Leur silence EST leur discours
Chez PNL, le mutisme n’est pas un hasard, c’est une cohérence narrative absolue :
- Leur univers musical est onirique, introspectif, presque cinématographique. L’absence de discours « explicatif » protège la magie.
- Ils refusent la société du commentaire permanent, ce qui renforce leur image de figures à part, presque mystiques.
- Leur communication repose sur l’événementiel pur : une vidéo qui tombe sans prévenir, une date dévoilée en haut de la Tour Eiffel, un teasing en réalité augmentée. Pas besoin d’en dire plus.
En choisissant de ne jamais commenter leur œuvre, ils forcent le public à l’interpréter, et donc à s’y investir plus profondément. PNL illustre parfaitement ce paradoxe contemporain : le silence peut être viral.
Communiquer par l’absence : pour qui, pour quoi ?
Cette stratégie n’est pas universelle. Elle demande certaines conditions pour être efficace :
- Une identité forte et cohérente,
- Une base existante de fans ou de clients fidèles,
- Un écosystème narratif suffisamment riche pour vivre sans explication,
- Et surtout : une capacité à susciter l’attente.
Elle est particulièrement adaptée à certains secteurs : le luxe, la culture, la musique, l’art contemporain, la tech visionnaire. En revanche, elle est plus risquée pour des marques grand public ou émergentes, qui doivent encore bâtir leur légitimité.
Le silence peut être une stratégie
En marketing, se taire peut parfois être plus éloquent que mille slogans. À contre-courant de la logique de visibilité à tout prix, certaines marques choisissent la discrétion, la rareté, voire la disparition temporaire, comme arme de séduction massive.
Les marques et groupes cités plus hauts partagent une conviction : le pouvoir du vide bien orchestré. L’absence, si elle est pensée, maîtrisée, mise en scène, devient un langage à part entière.
Si tout le monde a besoin de prendre la parole en 2025, ceux qui savent se taire peuvent devenir inoubliables.